Le secteur médical est actuellement le théâtre d'un débat enflammé : la vaccination administrée par les pharmaciens. Dans ce contexte, plusieurs syndicats, dont l'Association Belge des Syndicats Médicaux (Absym) et le GBO récemment, font valoir leur opposition résolue à cette approche. Ils défendent l'idée que la vaccination doit demeurer du ressort des médecins et regrettent le manque de concertation avec les médecins généralistes concernant la décision ministérielle, qui doit tout de même passer au parlement fédéral. Cette divergence d'opinions soulève des questions majeures liées à la continuité des soins, à la prévention en Belgique, à la multidisciplinarité, à la confidentialité médicale en jeu, ainsi qu'à la compétence nécessaire pour gérer les effets secondaires et les complications des vaccins.
Avant de plonger davantage dans le sujet, examinons quelques chiffres révélateurs. Chaque année, environ 500 000 personnes en Belgique sont touchées par le syndrome grippal, soit environ 2 à 8 % de la population. Parmi elles, une personne sur 1000 développe des complications nécessitant une hospitalisation. En Belgique, le taux de vaccination pour la population de 65 ans et plus atteint 57,3 %, plaçant le pays derrière la France avec 59,9 % et le Royaume-Uni en tête avec un taux impressionnant de 80,9 %. Ces chiffres sont frappants et suscitent de nombreuses questions, d'autant plus que certains experts en virologie estiment qu'un taux de couverture d'au moins 75 % est nécessaire pour une protection optimale.
Les médecins avancent que la vaccination requiert des compétences médicales spécifiques et qu'ils sont les mieux préparés pour assurer la continuité des soins en cas de complications. Cela garantit une protection renforcée des patients et offre également aux personnes désireuses de se faire vacciner l'occasion de faire un bilan de santé et potentiellement d'aborder les pathologies chroniques. Les enjeux de la confidentialité médicale sont également soulevés, mettant en évidence les défis liés à la préservation de cette confidentialité dans un environnement pharmaceutique où plusieurs clients sont présents. Les médecins insistent sur l'importance cruciale de cette pratique dans leur domaine de la médecine générale.
Un point central dans l'opposition de l'Absym au fil des années réside dans l'inquiétude concernant les compétences des pharmaciens pour gérer les effets secondaires et les complications des vaccins. Tout en soulignant que les médecins sont formés pour faire face à ces situations complexes, ils assurent ainsi la sécurité des patients. D'un autre côté, les pharmaciens, ayant désormais été formés à cette fin, sont habilités à administrer des vaccins. En effet, 5700 pharmaciens ont été formés pour contribuer à la vaccination pendant la période de la Covid-19. Ils seront désormais en mesure de vacciner contre la Covid-19 et la grippe saisonnière prochainement. De plus, il est important de rappeler que les pharmaciens peuvent prescrire le vaccin contre la grippe sans ordonnance.
Au cœur de ce débat, je perçois un enjeu sous-jacent lié à la répartition des tâches, d’une part, et à la crainte potentielle du changement de rôle du médecin. J'en ai discuté dans un article intitulé "Les infirmiers en quête de reconnaissance", disponible sur mon blog. Dans un monde où chaque profession aspire à être reconnue à sa juste valeur, les pharmaciens se trouvent également dans cette dynamique, même s'ils peuvent parfois être perçus uniquement comme des distributeurs de médicaments. Cependant, il est crucial de souligner qu'ils dispensent des conseils, possèdent une expertise en médicaments et assurent le suivi pharmaceutique de chaque patient, y compris dans le cas des addictions, par exemple. Dans cette ère de transformation profonde touchant le domaine médical – et j'emploie le terme "révolution" de manière délibérée –, il est envisageable que les pharmaciens puissent bientôt administrer des vaccins. Pourquoi cela ? Parce que le taux de vaccination contre la grippe est faible par rapport à d'autres pays, et cela constitue un fait. La question que nous devons nous poser est la suivante : Comment se fait-il que le taux de couverture vaccinale soit si bas en Belgique? Est-ce de la responsabilité des acteurs médicaux en première ligne ou de l'organisation de la santé publique en Belgique, avec le partage des compétences ? À mon avis, la responsabilité est partagée, et la vaccination doit redevenir une priorité en termes de santé publique. Dans un monde en évolution, l'enjeu de la vaccination doit être central et pluridisciplinaire, surtout dans un pays segmenté en entités fédérées et en communautés.
Cette perspective soulève la question centrale du rôle du médecin et de la crainte potentielle des médecins généralistes : leur importance sera-t-elle réduite, et la confiance des patients dans le système médical sera-t-elle affectée ? Mon point de vue est que non, bien au contraire. Les médecins auront toujours la possibilité de collaborer avec d'autres professionnels de la santé, y compris les pharmaciens récemment. Je pense que le médecin jouera un rôle intellectuel crucial, celui de la coordination de la santé à l'échelle macro et individuelle. Ils gagneront en importance grâce à une prise en charge multidisciplinaire du patient. Bien entendu, la vaccination a historiquement toujours été une pratique forte des médecins, mais nous constatons déjà qu'elle est administrée par des infirmiers dans des établissements de soins, sous la supervision du médecin coordinateur, et par des pharmaciens lors de la période de la Covid-19.
Un autre débat central doit aborder la collaboration entre médecins, pharmaciens et infirmiers pour une prise en charge optimale des patients. Un travail substantiel est requis ici et à mon sens doit être la priorité, dans le but de renforcer ces liens et de promouvoir la santé publique. Il est crucial de comprendre que l'augmentation du taux de vaccination ne repose pas uniquement sur les pharmaciens, mais sur l'ensemble des professionnels de la santé. L'enjeu crucial réside dans la collaboration entre ces différentes professions, car c'est ensemble que nous pourrons véritablement accroître le taux de vaccination. Faut-il d'abord donner la priorité à la collaboration et consolider d'abord la pluridisciplinarité entre professionnels?
En conclusion, ce débat autour de la vaccination administrée par les pharmaciens met en lumière des enjeux cruciaux concernant l'accessibilité des soins pour les patients, la continuité des soins et l'importance de la multidisciplinarité entre professionnels. Tout en reconnaissant l'importance d'une collaboration réussie entre médecins et pharmaciens, le débat souligne la nécessité de définir le rôle des pharmaciens dans le domaine de la vaccination. L'avenir de cette collaboration repose sur la recherche d'un équilibre entre les deux professions, dans le but ultime de garantir la meilleure qualité de soins pour les patients.
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Dr Bakhouche, conseiller politique et spécialiste en gestion et technologie de santé.
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